Au cours des dernières années, j’ai de nombreuses fois été confronté à différents comportements venant de photographes qui n’étaient pas respectueux de la nature. Que ce soit par insouciance ou par ignorance, leurs actions sont le plus souvent qu’autrement effectuées au profit de leur simple personne, ne se préoccupant pas des conséquences pouvant parfois être graves à plusieurs niveaux. C’est en réfléchissant et en lisant sur le sujet que j’ai donc écrit cet essai qui tente d’aborder certains enjeux relatifs à la photographie de nature1 et comment une réflexion éthique peut grandement contribuer au respect de l’environnement, mais aussi des autres photographes et amateurs de nature.
Un contexte
Les exemples affluent, et ce, particulièrement dans l’Ouest canadien et états-unien où la photographie de nature est extrêmement populaire et où les endroits iconiques et la faune sont excessivement photographiés. Plusieurs cas ont d’ailleurs fait les manchettes. Pensons à entre autres à la bande de High on Life2 qui avait abimé différents endroits protégés, ou encore au photographe Trevor Lee qui avait écopé d’une amende de $ 1500 USD en 2014 pour avoir posté sur Instagram des photos de lui faisant différentes activités dans des endroits protégés.3 Certains parcs4, par prévention ou en réaction, ont d’ailleurs étendu leurs restrictions s’appliquant auparavant qu’à la photographie commerciale afin d’encadrer l’ensemble de la photographie effectuée à l’intérieur de leur juridiction.

Roys Peak, Nouvelle-Zélande
Si les conséquences sont palpables dans les parcs publics5, c’est qu’ils ont des vocations précises visant entre autres à la protection d’un territoire. Ils sont investis d’un pouvoir légal qui leur donne une force de coercition à l’intérieur de leur juridiction. À l’extérieur, la Loi peut toutefois être plus permissive, voire même absente, ce qui peut donner lieu à des comportements qui seraient interdits dans des lieux protégés. Un exemple intéressant est celui de l’appâtage des chouettes et des hiboux à des fins de photographie. Cette pratique polémique6,7 n’est que partiellement réglementée à l’extérieur des parcs8, du moins au Québec. En effet, à l’exception de certaines municipalités, il n’y a aucune loi qui interdit de nourrir ou d’appâter les animaux. Les photographes qui font usage d’une telle technique agissent donc en toute légalité, et ce, même si tous les indices pointent que cette pratique est nocive pour ces oiseaux nocturnes.9
Un comportement qui est légal ne veut cependant pas signifier qu’il est acceptable. Tout est une question de comment le photographe se positionne par rapport à son impact sur la nature. Cet impact est loin d’être léger. La création d’une photographie de nature implique effectivement une relation privilégiée avec un animal, une plante ou un paysage. Cette relation n’est pas sans conséquences et peut affecter le sujet, que ce soit de façon bénigne ou dramatique.
Conscients de cette influence, certains photographes se questionnent sur l’effet qu’ont leur photographie sur la nature. Leurs réflexions, s’articulant autour de valeurs de protection de l’environnement, les guident ainsi à adopter une approche photographique visant à ne pas endommager la nature ou à perturber les animaux de quelque façon que ce soit. C’est ce processus d’interrogation et de remise en question qui constitue une démarche éthique en photographie de nature.
Qu’est-ce que l’éthique ?La notion d’éthique est souvent mal comprise. Il peut s’agir du fait qu’elle est confondue avec d’autres concepts, comme la morale, ou parce que son utilisation est calquée sur celle anglaise, ce qui n’est tout à fait pas équivalent. L’éthique est en fait un processus de régulation, plus précisément d’autorégulation10, par lequel un individu, lors de la prise de décision, prendra en compte les conséquences de ses actions sur autrui, certaines valeurs et principes moraux, ainsi que les attentes de la société ou d’un groupe en particulier.11 Une décision éthique s’effectue ainsi en considérant de nombreux facteurs, à la fois d’un point de vue personnel, mais également en relation à son environnement, que ce soit un groupe social de référence ou plus largement la société. |
L’éthique en photographie de nature
Les réflexions sur les implications de la photographie de nature ne sont pas nouvelles. Elles semblent toutefois connaitre un regain d’intérêt de la part de photographes depuis les dernières années.12 Préoccupés par la multiplications des incidents dans la nature reliés à la photographie et de la popularisation13de celle-ci, ces photographes communiquent leurs idées et endossent certains principes afin de sensibiliser la communauté aux enjeux environnementaux reliés à la photographie pour ainsi stimuler une réflexion éthique.
Comme une grande partie de ces photographes provient du milieu du plein air ou de la conservation, les principes du Sans trace, ou du Leave No Trace, sont souvent le point de départ avec lesquels une réflexion est articulée. Élaboré dans les années 1970, le Sans trace14 regroupe sept principes15 destinés aux personnes pratiquant des activités en nature. Il s’agit de :
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- Préparez-vous et prévoyez;
- Utilisez les surfaces durables;
- Gérez adéquatement les déchets;
- Laissez intact ce que vous trouvez;
- Minimisez l’impact des feux;
- Respectez la vie sauvage16;
- Respectez les autres usagers.
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Le Sans trace vise à réduire au maximum l’impact sur l’environnement des activités pratiquées en nature.
Depuis sa création, le Sans trace s’est largement imposé comme façon de fonctionner en plein air. Il également est devenu une ligne directrice dans les réflexions entourant les manières responsables d’agir en nature. Pas étonnant que plusieurs organisations de photographes ont ainsi adopté les principes du Sans trace ou s’en sont inspirés pour élaborer leurs propres chartes. Nombreux exemples peuvent être mentionnés. Pensons à entres autres la North American Nature Photography Association (NANPA) qui a rédigé plusieurs principes afin de guider ses membres dans leur pratique de la photographie de nature, ou encore Nature First qui met d’avant plusieurs principes. L’adoption de tels principes permet aux organisations et à leurs membres de se positionner par rapport à la protection de la nature et d’inciter des pratiques de photographie respectueuses de l’environnement.

Parc national du Gros Morne, Terre-Neuve, Canada
Une photographie à impact minimal sur la nature
La question de l’éthique en photographie de nature peut être délicate. La ligne est en effet mince entre ce qu’un photographe désignera d’acceptable ou pas; ses valeurs, son niveau d’éducation, ou plus largement de l’environnement social dans lequel il évolue peuvent être autant de facteurs qui influenceront les décisions du photographe.17 Toutefois, dans le contexte actuel où les pressions sur l’environnement ne cessent de d’accentuer et que la photographie connait un succès sans précédent, un questionnement éthique sur l’impact en tant que photographe devient extrêmement pertinent. Après tout, un photographe qui a pour sujet la nature ne devrait-il pas le moindrement s’y intéresser pour la préserver ?
Afin d’avoir une démarche éthique, le photographe doit essentiellement s’interroger sur deux façons dont il influence l’environnement. La première concerne l’empreinte directe qu’il laisse sur la nature. Il doit être conscient de l’impact de son activité et faire en sorte que son passage soit le plus discret possible. Une photographie ne sera jamais une justification suffisante pour endommager la nature ou déranger les animaux. Le Sans trace est dans cette visée un excellent guide et point de départ sur la démarche à adopter en milieu naturel.

Le respect des animaux en photographie est l’une des préoccupations éthiques les plus délicates à aborder.
Le deuxième point à lequel le photographe doit particulièrement être conscient est l’influence que ses photographies peuvent avoir par leur diffusion sur le web. Dans le cas de milieux écologiquement fragiles n’ayant pas les infrastructures nécessaires pour accueillir un large achalandage, le photographe doit sérieusement se poser la question si la divulgation des coordonnées ou de détails concernant l’emplacement exact ne pourrait pas nuire à l’intégrité de l’endroit. Les dernières années ont vu certains milieux endommagés, voire même ruinés, par leur popularisation liée à l’engouement de photographies sur les médias sociaux.18 Certains parcs commencent déjà à prendre des mesures comme, par exemple, le Parc National de Denali émettait un communiqué19 en septembre dernier afin que les randonneurs ne fournissent pas les coordonnées exactes de leurs aventures pour ne pas stimuler les affluences dans des milieux fragiles. Le photographe a donc un certain devoir par rapport à ce qu’il poste en ligne et de la façon dont il le fait.20
Une réflexion à faire
Au Québec, la photographie de nature ne bénéficie pas d’une aussi longue tradition que celle dans l’Ouest du continent. Elle gagne toutefois de plus en plus d’adeptes et, faute d’une réelle réflexion sur son impact, les conséquences pourraient être graves. C’est à ce niveau que l’éthique devient extrêmement pertinente. Elle est une façon de glorifier la nature en la respectant et en permettant d’encadrer les activités de photographie. C’est toute la communauté des photographes de nature qui en sera gagnante, à la fois parce que les sujets seront protégés, mais aussi parce que cela préviendra les dérives législatives causées par des comportements abusifs et irrespectueux.
En terminant, je laisse quelques lectures qui pourront vous alimenter dans votre réflexion. Si vous avez des questions ou des commentaires, je vous invite à les laisser ci-dessous ou à communiquer avec moi par courriel.
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Suggestions de lecture
Mitchell, G Dan (2010) Disclosing photo locations : how much information is to much ?
North American Nature Photography Association (2016) Principles of ethical field practices.
Notes et références
- Par photographie de nature, j’inclus la photographie de paysage ainsi que la photographie animalière.
- Fisher, Gavin (2017) 2 ‘High on Life’ Canadians given jail time for violating rules in U.S. parks. CBC.
- Repanshek, Kurt (2014) Instagramming Park Vandal Is Just The Latest To Hit The National Parks And Show-Off Their Crimes. National Park Traveler.
- Toute utilisation de « Light Painting » ou de lumière artificielle la nuit est semble progressivement bannie des Parcs Nationaux États-Uniens. Plus d’informations à cette adresse.
- Cette carte interactive publiée dans High Country News illustre les principaux endroits frappés par le vandalisme.
- Samson, Jacques (2012) Appâtage des harfangs des neiges: deux écoles de pensée s’affrontent. La Presse.
- Furtman, Michael (2017) The Foul Practice of Wild Owl Baiting by ‘Wildlife Photographers’. Petapixel.
- Ceci n’est pas le cas dans les parcs nationaux et provinciaux. À titre d’illustration, Parcs Canada punit d’une amende de 300 $ pour quiconque qui enfreint cette règle.
- Pour l’instant, aucune recherche scientifique semble avoir spécifiquement abordé le sujet. Plusieurs signes montrent toutefois tout le problème que génère cette pratique. Par exemple, les appâts utilisés peuvent transporter des maladies dont les chouettes et hiboux sont difficilement résistants. Les comportements de ces oiseaux peuvent également être grandement affectés, adoptant des façons d’agir envers les humains les menant à se blesser ou à mourrir. Aucune association mondiale d’ornithologie appuie d’ailleurs ce type de pratique. Plusieurs magazines comme le National Geographic interdisent même de soumettre des photos qui sont le produit d’appâtage, que ce soit lors de certains concours ou venant de leurs contributeurs. À ce sujet, la National Audubon Society a élaboré un code de conduite pour la photographie d’oiseaux qui prohibe entre autres l’appâtage des oiseaux de proies puisque ces pratiques peuvent modifier les comportements de l’animal.
- Boisvert et Côté distinguent les différents modes de régulation social selon deux spectres distincts, l’autorégulation, à laquelle appartient l’éthique et la déontologie, et l’hétérorégulation, qui comporte la morale et les moeurs. Au centre, se situe le droit. Pour plus d’informations, voir Boisvert, Y., & Côté, L. (2003). Petit manuel d’éthique appliquée à la gestion publique. Montréal: Liber.
- Girard, D. (2004). Les dimensions psychologiques de l’éthique : l’impact du contexte organisationnel. Interactions, 8(1).
- La communauté de photographie de nature états-unienne est particulièrement volubile à ce sujet. Pour ne mentionner que quelques articles : Sarah Marino a développé sur le principe de Leave No Trace en photographie; Greg Russell, dans un texte plus personnel, explique sa « Deep ethics ».
- À ce titre, un article paru dans le New Yorker est intéressant.
- Maintenant institutionnalisé en un organisme du même nom.
- Les principes se déclinent en plusieurs considérations et sont davantage développés sur le site Internet de l’organisation en plus d’être appuyés par des recherches scientifiques.
- Des nombreuses considérations déclinant de ce point, deux attirent particulièrement l’attention en photographie, soit « Observez la faune à distance. Ne suivez pas et n’approchez pas les animaux sauvages. » et « Ne donnez jamais de nourriture aux animaux sauvages. Ceci peut nuire à leur santé, altérer leur comportement, les exposer à des prédateurs et à d’autres dangers. ».
- Pour plus d’informations sur l’aspect psychologique de l’éthique, voir : Girard, D. (2004). Les dimensions psychologiques de l’éthique : l’impact du contexte organisationnel. Interactions, 8(1).
- G Dan Mitchell s’est questionné sur la divulgation des endroits photographiés et qui sont sensibles à l’empreinte humaine.
- Friedman, Sam (2016) Park service urges hikers not to post precise GPS coordinates of Denali hikes, Anchorage, Alaska Dispatch News.
- Un excellent article du Outside Magazine traite de la question.
Excellent article qui fait bien le tour de la question et nous oblige à réfléchir à notre empreinte en tant que photographe. Merci.
Un grand merci !